samedi 19 décembre 2009

Renaissance ou réincarnation ?


Afin de tenter d’appréhender quelque peu cette difficile question de la réincarnation — qui représente pour les Hindous et la majorité des Bouddhistes une perspective indiscutée —, il est possible de trouver une analogie dans ce qui se produit quotidiennement dans la vie de tout être humain, et que celui-ci tient généralement pour un fait allant de soi. En effet, chaque nuit, lorsqu’il sombre dans son sommeil nocturne, ne subit-il pas à son insu— sans que d’ordinaire il le regarde comme tel — un genre de petite mort répétée ? Et, lorsqu’il se réveille le matin et ouvre de nouveau les yeux sur le monde manifesté, n’est-il pas, en quelque sorte, réincarné ?
On peut ainsi affirmer que, déjà de son vivant, il passe à travers un nombre — néanmoins limité — de petites morts et de réincarnations jusqu’à ce qu’arrive l’heure critique de son départ de ce monde où il lui sera ordonné de laisser derrière lui l’existence phénoménale qu’il ne lui aura été permis de connaître que pour un temps déterminé.

Et pareillement, peut-être le nombre de réincarnations possibles pour un être humain est-il aussi limité que celui des jours et des nuits qu’il est destiné à vivre durant son séjour temporaire sur ce globe. Toutefois, la réincarnation est-elle — comme on le croit en Asie — un droit pour tous ?

Ne doit-on pas s’interroger sur ce qu’il adviendra de celui qui ne cherche pas, de toutes ses forces, à diriger son intérêt dans une direction précise qui ait une valeur spirituelle — ou du moins artistique —, de façon à laisser en son être une trace suffisamment durable et profonde, capable de traverser l’oubli de la mort ?
Autrement dit, si sa vie ne s’est déroulée — comme c’est le cas pour la majorité des hommes et des femmes — qu’en réaction machinale à des conditions extérieures qui, de par leur nature, ne peuvent qu’être en perpétuel changement, et que rien de permanent ne s’est implanté en lui qui puisse appeler une nouvelle naissance, une réincarnation peut-elle être envisageable pour lui ?

En revanche, certains êtres, qui, en raison de la durée trop brève de la vie humaine, n’ont pu mener à son terme le travail spirituel qui était vital pour eux, seront contraints de revenir à l’existence phénoménale pour pouvoir achever ce qui a été commencé jadis et que la mort a interrompu prématurément.

Aussi, s’il se donne la peine de réfléchir à ce qui vient d’être expliqué, l’aspirant ne doit-il pas se demander s’il est réellement prêt à se vouer avec le tout de lui-même à sa quête ? — en d’autres termes, à tout faire pour “atteindre l’autre rive” ou pour devenir un “élu”, ce qui doit être le but de tout chercheur sérieux ?

Compte tenu de la confusion qui règne dans l’esprit des gens au sujet d’un domaine si difficile à embrasser, il s’avère des plus importants pour un aspirant de comprendre la différence existant entre renaissance et réincarnation.

Dans le premier cas, le retour à la vie n’est, par le principe de causes et d’effets, que le produit spontané de forces engendrées par des tendances et agrégats psychiques qui subsistent après la mort d’un individu et qui se recombinent à d’autres, de façon plus ou moins aléatoire, pour former un nouvel être qui leur fournira le terrain et les conditions d’existence leur permettant de se manifester à nouveau.
Il s’agit là d’un processus automatique, sans choix possible.

La réincarnation quant à elle ne peut se produire que pour un adepte qui est suffisamment avancé — que les Tibétains appellent un tulku * — et dont les efforts assidus qu’il a fournis dans le passé ont implanté en lui une impulsion qui donnera une direction déterminée à sa nouvelle vie, afin que, comme dit précédemment, il puisse poursuivre la tâche spirituelle déjà entreprise, mais qui était demeurée inachevée. Dans ce cas, la loi qui détermine cet événement fournira les conditions nécessaires à son actualisation.



Si un chercheur rejette a priori la possibilité de la réincarnation et n’envisage qu’une vie unique où son destin se joue de façon irrémédiable, il peut se sentir accablé en constatant à quel point il est loin des efforts qu’ont fournis de grands mystiques. Aussi, au lieu de se lancer, avec toute sa sincérité, dans le processus — qui ne peut qu’être douloureux — de la transformation de lui-même par des efforts spécifiques destinés à implanter en son être la semence nécessaire pour l’aider dans une existence future, il risque de rester tel qu’il est, en attendant passivement qu’un miracle se produise en sa faveur.

En effet, comme il ne peut trouver d’explication satisfaisante à l’écart qui existe entre les capacités des individus et que, par ailleurs, il a pu apprendre que le destin de certains grands mystiques a basculé soudainement lors d’une expérience spirituelle spectaculaire, apparemment inattendue, au lieu d’en déduire que des événements qui surviennent aussi mystérieusement dans la vie d’un homme ne peuvent qu’être le fruit d’un travail spirituel assidu entrepris dans d’autres existences, il est contraint d’attribuer de telles différences de destinée au choix arbitraire d’une puissance supérieure ; il ne peut alors qu’espérer profiter un jour, lui aussi, du bon vouloir de ce Dieu situé quelque part dans l’Univers et jouant aux dés les gagnants d’un jeu cosmique !

Il arrive parfois que, dans des moments d’intense présence à lui-même, un chercheur puisse accéder à d’autres plans de conscience lui permettant de connaître, d’une façon inexplicable par la logique de ce monde, toutes les possibilités d’un être vivant, d’une situation ou d’une chose en même temps. Il en est ainsi pour la réincarnation ; elle peut être saisie dans sa globalité à des moments privilégiés, par une soudaine perception directe qui dépasse la compréhension ordinaire.
Mais, vu la complexité d’une telle question — dont toutes les faces ne peuvent être appréhendées qu’à la suite d’un travail spirituel intense et non par des raisonnements intellectuels au niveau de la conscience coutumière —, lorsque l’on veut essayer de communiquer quelque chose de cette connaissance indéfinissable avec des mots, on se trouve confronté à une difficulté quasi insurmontable.
Il faut que le chercheur se refuse à nier en bloc ce phénomène ou à accepter aveuglément des doctrines toutes faites à propos d’un sujet aussi vaste et troublant, et qu’il tente de découvrir, au travers de ses propres pratiques de méditation, les réponses appropriées à ses besoins du moment pour l’aider dans cette difficile quête de la Source Sainte d’où il a émergé et dans laquelle il sera réabsorbé après sa mort.

*Il faut toutefois préciser que ce phénomène n’est pas propre aux Tibétains et qu’il peut s’observer à toutes les époques et dans tous les pays à propos de grands mystiques, comme Thérèse d’Avila ou Ramana Maharshi — ou même parfois de grands artistes (tels Mozart et Beethoven).

Salim Michael
S'éveiller, une question de vie ou de mort

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